Three editorials in the three days in France’s leading daily newspapers and weekly magazines: Le Monde, Le Figaro and Le Point.
All with the same message:
The Kurds were the West’s shield against ISIS, the most loyal allies.
Now, Turkey’s tanks raze the streets of Afrin, killing civilians, provoking a humanitarian nightmare, disseminating chaos and devastation.
Where is that same sense of loyalty for the Kurds – who only months ago, were praised for opening the gates of Rakka and Mosul and for successfully leading the fight against ISIS?
Where is the international support for the people that held the 1,500 kilometer front line in Kurdistan during the fight against terror, that were America’s best allies in Syria?
the people who lost thousands of soldiers;
the people who welcomed a million refugees in Kurdistan, most of whom were Christian;
the people who laud women serving arm to arm with men in the military and gender equality is essential;
the people for whom democracy is a just word.
Until when will the world turn a blind eye?
And what kind of ally is Turkey? A member of NATO, who funnels arms to ISIS over the years and will stop at nothing to complete its ethnic cleansing campaign of the Kurds. Religious authorities of Turkey have called for a “jihad” against the Kurds, a genocide, an extermination of this people.
Still, there is no action. The errors committed are political, strategic and moral. An abomination for the ages.
Le Monde 23 mars 2018
Les Kurdes ont été au premier plan de la lutte contre l’EI. Méritent-ils le cynisme des grandes puissances ?
Par Alain Frachon
Sans les Kurdes, la barbarie de l’organisation dite Etat islamique (EI) sévirait encore. Les djihadistes disposeraient toujours de leurs points d’appui en Syrie et en Irak. Les « hommes en noir » asserviraient les populations locales. A Mossoul, en Irak, ils fabriqueraient de la voiture piégée à la chaîne – pour tuer et mutiler ici et là. A Rakka, en Syrie, ils entraîneraient de jeunes Européens, convertis à leur cause, pour qu’ils repartent semer la mort – à Bruxelles, Paris et ailleurs.
Aux Etats-Unis et en Europe, on présentait la lutte contre le terrorisme islamiste comme une priorité stratégique. On assurait qu’il s’agissait d’une « guerre » à mener sur tous les fronts. La menace était jugée « existentielle ». Nos alliés dans ce combat seraient nos frères d’armes. On ne les oublierait pas, juré, promis. C’était hier. Entre-temps, l’EI a été défait, en tout cas singulièrement affaibli, chassé de Mossoul et de Rakka. Soulagement en Europe et aux Etats-Unis. On peut passer à autre chose.
Aujourd’hui, la Turquie et ses supplétifs occupent le nord-ouest de la Syrie. Notre alliée de l’OTAN y traque les Kurdes, nos alliés de la lutte contre l’EI. Dans le chaos des guerres syriennes, les 2 à 3 millions de Kurdes de Syrie se sont taillés, sous la houlette du Parti de l’union démocratique (PYD), une région autonome le long de la frontière avec la Turquie. Ils l’appellent le Rojava. Le PYD est proche du PKK – les autonomistes kurdes de Turquie, en guerre contre Ankara depuis quarante ans –, que les Etats-Unis et les Européens considèrent comme une organisation terroriste, non sans quelque raison.
Une étonnante équipée
L’armée turque ne veut pas que le Rojava serve de base arrière au PKK, même si aucune attaque contre la Turquie n’a été lancée depuis la Syrie. Elle entend démanteler le Rojava. Elle a le feu vert de la Russie, qui laisse l’aviation turque bombarder les villages kurdes.
Sur le terrain, Ankara a recruté des milliers de combattants arabes de Syrie, pour la plupart des islamistes, dont des anciens d’Al-Qaida et de l’EI, rapporte le journaliste Patrick Cockburn, l’un des meilleurs connaisseurs de la région. Pour casser du Kurde, se trouve ainsi constituée une étonnante équipée : la Russie, ennemie de l’OTAN, la Turquie, membre de l’OTAN, et une vaste soldatesque islamiste, en principe ennemie des Russes…
Le PYD a des tendances autocratiques. Ne voulant pas se mêler de l’affrontement entre Damas et la rébellion syrienne, il a pactisé, ici et là, avec Bachar Al-Assad. Mais ce sont les femmes et les hommes du PYD qui ont libéré tout le nord-ouest syrien de la présence de l’EI. Sans ces combattants admirables, l’aviation américaine n’aurait pas suffi pour prendre Rakka. Sans eux, qui sont intervenus aussi en Irak, les yézidis du mont Sinjar auraient été massacrés jusqu’au dernier. Les Kurdes ont été l’instrument au sol de la défaite de l’EI en Syrie. Dans cette bataille, ils ont perdu des centaines de combattants.
La revanche des islamistes
Les Etats-Unis vont-ils laisser la Turquie pousser plus avant et attaquer les cantons Est du Rojava, là où se trouve le gros des troupes du PYD, appuyées par des forces spéciales américaines ? Washington et les pays de l’Union européenne vont-ils faire pression sur Ankara ou laisser les Kurdes seuls face à l’armée turque et aux islamistes ? Ces derniers ont une revanche à prendre : la haine des Kurdes les anime. Chaque Kurde tombé entre leurs mains – homme, femme, enfant – est promis au viol, à l’esclavage, à la mort.
Ces temps-ci, les Kurdes d’Irak ont mauvaise presse. Autonomes depuis les années 1990, ils ont été sauvés in extremis, par les Américains et les Iraniens, de l’offensive menée par l’EI en Irak en 2014. Après quoi, sujets à l’hubris, ils ont agrandi leur territoire et organisé un référendum sur l’indépendance – contre l’avis de leurs amis.
Echec sur toute la ligne. Les Kurdes d’Irak ont reperdu ces territoires et Bagdad a restreint leur autonomie. Ils restent prisonniers de leur système politique (suranné). Mais voilà, deux ans durant, ils ont été le principal point d’appui des Occidentaux pour préparer la reprise de Mossoul. Face à l’EI, ils ont tenu une ligne de front de plus de 1 500 kilomètres : plus d’un millier de peshmergas y ont perdu la vie. Ils ont accueilli un million de réfugiés de toute la région, notamment les chrétiens.
En Irak comme en Syrie, les Kurdes ont été au premier plan de la lutte contre l’EI. Historiquement, ils ont toujours été victimes du cynisme des grandes puissances. Faut-il vraiment qu’il en aille encore ainsi ? Une fois de plus.
Le Point 19 mars 2018
Génocide des Kurdes par la Turquie: Nous sommes tous complices
Par Franz-Olivier Giesbert
Avec l’affaire des Kurdes de Syrie, principaux artisans de la victoire contre Daech, l’Occident est arrivé au bout du bout de la bêtise et de l’ignominie. Avec un cynisme sans fond, le voici qui laisse la Turquie, son« alliée», les exterminer avec l’aide des soldats de feu l’Etat islamique.
Retrouvant les réflexes de son président« collabo» de sinistre mémoire Emil Hacha ( 19 38- 19 39 ), la République tchèque n’a même pas hésité à arrêter ce week-end Salih Muslim, figure historique des Kurdes de Syrie, de passage à Prague, sous prétexte que son nom était inscrit sur la liste des« terroristes» établie par Ankara.
On ne refuse rien et on passe tout à la Turquie. Membre de l’Otan, elle a réussi à faire oublier que, pendant tout le conflit avec Daech, elle est restée du dernier bien avec les islamistes, leur fournissant des armes en douce et leur servant de prête-nom pour vendre du pétrole. Une professionnelle du double jeu, de l’escobarderie.
Nationaliste hystérique, Recep Tayyip Erdogan, son président, Selim le Terrible de poche, n’a qu’une obsession: en finir avec les Kurdes de Syrie (moins de 3 millions de personnes) qui, s’ils obtenaient l’autonomie territoriale, doperaient, pense-t-il, les ardeurs indépendantistes des Kurdes de Turquie (entre 12 et 15 millions), minorité maltraitée sinon persécutée.
C’est pourquoi les plus hautes autorités religieuses de la Turquie ont décrété, sans doute à la demande d’Erdogan, le djihad contre les Kurdes de Syrie, selon un scénario déjà bien rodé: quelques mois avant le génocide de plus de 1 million d’Arméniens en 1915, le cheikh ul-Islam, chef spirituel des sunnites, avait pareillement donné le signal de la guerre sainte contre lesdits Arméniens. Aujourd’hui, les soldats turcs et les islamistes syriens attaquent les villages kurdes aux cris de: «Allahou Akbar! Sus aux porcs athéistes ! »
La Turquie en est-elle à un génocide près? Un siècle plus tard, on dirait que l’Histoire radote. Ce qui se passe aujourd’hui dans l’enclave d’Afrine et se perpétuera demain dans le Rojava a pour objet d’anéantir les Kurdes de Syrie et de les remplacer par des réfugiés arabes islamistes à qui seront données leurs terres. Toutes les conditions d’un succès semblent réunies pour Erdogan, qui s’est assuré la neutralité plus ou moins bienveillante de l’Iran, de la Russie, des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la France.
Il n’y en a pas un pour racheter l’autre. Honte aux gouvernants qui, à gauche comme à droite, d’Obama à Trump, rivalisent de cynisme et d’hypocrisie sur le dos des martyrs kurdes. Honte au troupeau des médias qui, avec leurs réflexes pavloviens, se déshonorent avec suffisance et bonne conscience.
N’entendez-vous pas les cris d’effroi sous les bombardements? Non, bien sûr: tout le monde est sourd, personne ne veut savoir, les caméras ont mieux à faire ailleurs. Il est vrai que les chers confrères de la gauche bien-pensante à l’indignation sélective, pardon de l’euphémisme, ne s’intéressent qu’aux exactions commises par les« méchants» soldats de Bachar el-Assad dans la Ghouta orientale contre les« gentils» rebelles qui, cela va de soi, ne sont pas islamistes. Le conformisme islamo-gauchiste est en marche, rien ne l’arrêtera.
Bachar el-Assad est un boucher sans scrupules, de la même espèce que Recep Tayyip Erdogan, mais à cette différence près: tueur de masse, le dictateur syrien n’est pas génocidaire; il n’a pas entrepris de supprimer une ethnie, celle des Kurdes de Syrie, de la surface de la terre. Pourquoi, alors, le président turc est-il tellement mieux traité par le camp du bien? Qu’est-ce qui amène les «élites» politico-médiatiques de la planète à fermer systématiquement les yeux sur les massacres de Kurdes par l’armée turque et ses alliés islamistes?
Mégalomane paranoïde et maître-chanteur patenté, Erdogan fait peur. Il menace tour à tour de lâcher les vannes de l’immense réserve de migrants syriens parqués dans son pays (avec les subventions européennes) ou de remettre en question le maintien à lncirlik, sur son territoire, d’une grande base militaire américaine avec son arsenal d’ogives nucléaires. Face à lui, tout le monde se couche, y compris Trump-le-Matamore. Quant au président Macron, nous dirons, par politesse, que, dans ce festival de pleutrerie internationale, il est à peu près aussi inflexible qu’un marshmallow. Pas glorieux, excusez du peu.
Rares sont ceux qui ont osé briser le silence radio. Jean-Luc Mélenchon a bien donné, et grâces soient rendues à François Hollande, qui a sauvé l’honneur de l’Europe, ce dimanche, en prenant vigoureusement le parti des Kurdes de Syrie, qu’il avait déjà soutenus contre la Turquie il y a trois ans, quand ils ont libéré Kobané contre Daech et… les Turcs. Merci, M. Hollande! Merci pour eux!•
Le Figaro 21 mars 2018
Reniement
Par Arnaud De La Grange
En grand chroniqueur de la comédie humaine, Honoré de Balzac nous dit que « l’ingratitude vient peut-être de l’impossibilité où l’on est de s’acquitter ». C’est une tragédie qui se joue dans le nord de la Syrie, mais l’une de ses clés se trouve peut-être dans ces mots. Aux Kurdes qui leur ont servi de fantassins dans la lutte contre Daech, les Occidentaux ne savent qu’offrir. Alors ils les lâchent, les sacrifient.
Cette indignité se fait dans l’indifférence de l’opinion et l’indignation très amortie des politiques. Il y a trois ans, les jeunes combattantes kurdes qui avaient défendu Kobané face aux djihadistes étaient célébrées jusqu’au Palais de l’Élysée. Aujourd’hui, on les regarde mourir en silence.
Cela semble une fatalité. Comme si, à la fin, dans cet Orient compliqué, les Kurdes devaient toujours perdre. Il est vrai qu’ils ne s’aident pas toujours eux-mêmes. Divisions claniques, conflits et sous-conflits en cascade, alliances de revers minent leur cause et leurs projets.
Cet abandon est d’autant plus révoltant que les Kurdes sont laissés seuls face à un autocrate turc qui passe son temps à défier ces mêmes Occidentaux. Et qui s’appuie sur des soi-disant « rebelles syriens » aux forts relents islamistes. Nous renions notre propre camp.
Il ne s’agit pas de faire des forces kurdes de Syrie une armée des anges. Elles restent cousines du PKK marxiste-léniniste de Turquie, même si cette coloration idéologique a passé avec les années. Mais nous avons des valeurs en commun. Et nous serons toujours plus proches d’un mouvement qui met les femmes au même rang que les hommes que de ceux qui les rangent dans une catégorie inférieure.
Ce lâchage est une faute morale. C’est aussi une faute politique. Les Occidentaux montrent que leurs alliés d’un jour peuvent le lendemain être traités comme de vulgaires supplétifs. De la chair à canon qu’on laisse tomber quand elle a fini de servir. Alors que des combats essentiels sont loin d’être terminés, le signal est désastreux.