Le général kurde irakien Sirwan Barzani craint une poussée djihadiste, alors que le retrait des forces de combat américaines de son pays approche.
Neveu de l’ancien président du Kurdistan irakien Massoud Barzani, le général Sirwan Barzani est commandant d’une unité des forces kurdes peshmergas et à la tête de la compagnie de télécoms Korek. Disant craindre une résurgence de l’organisation Etat islamique (EI), il appelle au maintien des troupes américaines en Irak, notamment des forces de combat dont le retrait est programmé au 31 décembre.
Pourquoi demandez-vous le maintien des forces de combat américaines ?
Nous avons vu ce qui est arrivé après la décision, en 2011, de l’ancien président Barack Obama de retirer les troupes américaines : l’organisation Etat islamique est arrivée. Pour l’équilibre de la région et du Kurdistan irakien, il faut que les forces de la coalition internationale anti-EI restent. Nous avons besoin de leur technologie. Nous n’avons pas de drones pour contrôler les mouvements des djihadistes ni de caméras thermiques. Le gouvernement fédéral de Bagdad ne nous autorise pas à en acquérir. Le maintien des troupes américaines est aussi important pour le moral de la population, des déplacés, et pour que les chrétiens se sentent en sécurité.
Après le retrait d’Afghanistan et la chute de Kaboul aux mains des talibans, craignez-vous que les Etats-Unis décident de retirer totalement leurs troupes d’Irak ?
Ils nous assurent jusqu’à aujourd’hui qu’ils continueront à soutenir l’ensemble de l’Irak. Je ne pense pas qu’ils répéteront le scénario afghan. Nous redoutons un scénario identique à celui de 2014, quand l’armée irakienne s’est effondrée face à l’EI. Elle a aujourd’hui davantage d’expérience, elle s’est aguerrie dans la lutte contre l’EI. Mais la mentalité qui a sous-tendu l’expansion djihadiste – les problèmes entre chiites et sunnites – demeure. Les djihadistes sont des musulmans radicaux qui lavent le cerveau des gens. Il faut que les Américains continuent à nous aider avec des conseillers, de la technologie militaire, du renseignement.
Lors de sa visite en Irak et au Kurdistan irakien fin août, le président Emmanuel Macron vous a assuré du soutien de la France. Quel peut être ce soutien ?
La promesse du président Macron est très importante pour nous. La France a déjà fait beaucoup depuis le début de la guerre et jusqu’à maintenant. Cela dépendra de son budget et de ses capacités. Les Français peuvent faire plus avec les forces spéciales en matière de formation, dans le partage des renseignements et la surveillance des mouvements de l’EI.
La présence accrue de milices chiites dans les régions sunnites est-elle de nature à alimenter la résurgence de l’EI ?
Certainsdisent que la présence des milices chiites est nécessaire car il n’y a pas assez de forces pour contrôler ces régions. Il faut accroître les effectifs de la police locale car les populations locales lui font davantage confiance. Beaucoup de déplacés préfèrent rester dans les camps au Kurdistan irakien, dans des conditions de vie difficiles, parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité chez eux. C’est éloquent.
Estimez-vous que la menace posée par l’EI s’est accrue ?
On observe une hausse des activités de l’EI. Il y en a tous les deux ou trois jours. Ils opèrent avec des lunettes de vision nocturne et s’orientent avec des GPS dans mon secteur, les montagnes de Qarachogh. Nous-mêmes n’avons pas de lunettes de vision nocturne car Bagdad ne nous autorise pas à en avoir. On voit une répétition du scénario qui a eu lieu en 2013 [avant la conquête d’un tiers de l’Irak et de la Syrie par l’EI].
Leur moral est en hausse après ce qu’ils ont vu en Afghanistan, la chute de Kaboul. On estime à 7 000 le nombre de djihadistes dans tout l’Irak – à 99 % des locaux –, et l’équivalent en Syrie. Ils sont présents depuis la frontière avec l’Iran jusqu’à la frontière avec la Syrie. Ils ne peuvent pas traverser cette frontière aussi facilement qu’avant car les troupes irakiennes la gardent.
Beaucoup des attaques perpétrées par l’EI se déroulent dans les zones disputées entre Bagdad et Erbil. Un accord de coopération sécuritaire n’a été trouvé que fin août. Pourquoi ce blocage ?
Des procédures sont prévues dans l’article 140 de la Constitution pour résoudre ce problème historique mais cela fait quinze ans que Bagdad refuse de l’appliquer [ il prévoit l’organisation d’un référendum d’autodétermination dans les régions disputées]. Après deux ans de discussions, nous avons trouvé un accord pour créer deux brigades conjointes composées de peshmergas et de troupes de l’armée irakienne. Elles devraient être mises en place d’ici deux à trois semaines. Cela va permettre de résoudre beaucoup des problèmes sécuritaires de la région. Mais les autres problèmes entre Bagdad et Erbil demeurent. Si on applique l’article 140, les gens pourront décider s’ils veulent vivre sous l’autorité du gouvernement fédéral ou du gouvernement autonome du Kurdistan irakien, et cela résoudra 99 % du problème.Lire aussi : 11-Septembre 2001-2021 : deux décennies dans le « brouillard de la guerre »
Les forces turques, qui occupent des bases au Kurdistan irakien, mènent une offensive en Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée terroriste par Ankara. Des civils ont été tués. Pourquoi laisser la Turquie opérer ?
Malheureusement des civils meurent parfois dans ces opérations. Mais, cela n’est pas de notre responsabilité car notre espace aérien comme les frontières sont sous l’autorité de Bagdad. La Turquie a demandé à l’Irak qu’elle ne laisse pas le PKK l’attaquer depuis son territoire. La Turquie se sert de l’excuse du PKK pour poursuivre ses opérations. La décision revient à Bagdad et à Ankara. Nous ne pouvons pas nous battre contre l’armée turque.
Hélène Sallon(Beyrouth, correspondante)