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Zagros Hiwa, membre du comité des relations extérieures de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK).

ROJ Info: « Au moins, Biden ne reprochera pas aux Kurdes de ne pas avoir débarqué en Normandie ! »


Interview avec Zagros Hiwa par Chris Den Hond et Mireille Court, décembre 2020. 

Zagros Hiwa est membre du comité des relations extérieures de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), dont fait partie la principale organisation de la guérilla kurde, le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. 

Les Kurdes du Kurdistan de Turquie sont prudemment optimistes concernant la victoire électorale de Joe Biden aux États-Unis, après que Trump ait laissé le champ libre à la politique expansionniste et répressive d’Erdogan contre les Kurdes en Syrie et en Turquie. Entre temps, la situation s’aggrave au Kurdistan d’Irak avec une opération conjointe de la Turquie avec les Kurdes du PDK de Barzani contre la guérilla du PKK. 

Qu’est-ce qui se passe au nord de l’Irak, où la guérilla du PKK est installée depuis plus de 30 ans? 

Zagros: Au nord de l’Irak (ou Kurdistan du Sud), l’armée turque fait des incursions et a l’intention de l’occuper. Elle le considère comme la province de Mossoul de l’époque ottomane. L’État turc a des ambitions expansionnistes néo-ottomanes qui vont de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient jusque dans le Caucase. 

La Turquie envahit régulièrement le Kurdistan du Sud. Depuis 1983, elle y a mené 33 opérations de grande envergure. Le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan, Barzani) coopère avec l’État turc dans certaines des ses opérations. En ce moment, l’État turc veut utiliser le PDK comme sa propre milice dans la guerre contre le mouvement de libération du Kurdistan. Le but est clair: prétendre que la guérilla du PKK a attaqué les Peshmergas (forces armées du PDK) et déclencher des nouvelles tensions dont seuls les Kurdes en sortiront perdants, avec Erdogan comme gagnant. 

Quel est la véritable menace des drones? Comment résistez-vous à ce nouveau type de guerre? 

Zagros: Ce n’est pas une nouvelle menace. La Turquie utilise des drones contre les forces de la guérilla depuis 2007. Les drones ont incontestablement modifié la vie quotidienne de la guérilla. Mais, pendant toutes ces années, les forces de la guérilla ont développé leurs propres méthodes pour réduire les effets des drones dans les combats. La guérilla ne se comporte pas comme une armée conventionnelle. Elle a plus de flexibilité pour s’adapter aux nouvelles conditions militaires. C’est pour cela qu’en dépit d’une activité des drones 24h sur 24 et 7 jours sur 7 au dessus de nos régions, les forces de la guérilla continuent leurs combats et réussissent toujours à infliger des pertes à l’armée turque. 

La véritable menace de l’invasion turque, c’est qu’un tel type de guerre risque de faire perdre tous les gains kurdes au Kurdistan du Sud et d’ouvrir la voie à un nouveau nettoyage ethnique. N’oublions jamais que l’État turc effectue actuellement un déplacement de la population kurde, donc un nettoyage ethnique à Afrin, à Serekaniye et à Gire Spi (Tel Abyad), au Rojava, dans le nord de la Syrie. Erdogan essaye d’utiliser les Kurdes contre les Kurdes. 

Les drones seuls ne peuvent pas gagner une guerre, donc la Turquie a besoin de troupes au sol. Est-ce qu’elle utilise le PDK de Barzani pour cela?

Zagros: Les drones sont juste le dernier exemple d’une technologie militaire utilisée contre les Kurdes. L’État turc a toujours utilisé une technologie militaire de pointe, conventionnelle et non conventionnelle contre les Kurdes. Ils ont même utilisé des armes chimiques à Dersim en 1938. L’État turc essaie de supprimer les Kurdes en tant que peuple, mais la question kurde est toujours là: politiquement, socialement, culturellement. Une question politique et sociale aussi importante ne peut pas être supprimée par des drones. En plus des drones, l’armée turque veut utiliser les forces du PDK comme de la chair à canon au bénéfice de sa propre armée. Du point de vue de la mentalité de l’État turc, chaque goutte de sang kurde versée est un gain, que ce soit celui du PKK ou du PDK. En ce sens, l’élite dirigeante du PDK commet un tort irréparable envers la cause kurde. Ils négligent le fait que leurs propres ancêtres ont été pendus par l’État turc, bien qu’Erdogan lui-même le leur a rappelé, à la veille du référendum sur l’indépendance. Au lieu d’encourager et d’organiser le peuple kurde pour qu’il résiste aux envahisseurs, le PDK collabore avec les envahisseurs. 

Quelle est la relation entre le PKK et le UPK (Union Patriotique du Kurdistan, la deuxième force politique du Kurdistan d’Irak), est-ce qu’elle est meilleure qu’avec le PDK? 

Zagros: Notre politique dans les relations intra-kurdes consiste à établir l’unité nationale parmi les Kurdes. C’est nécessaire si les Kurdes veulent résister à la répression des États dominants. Nous avons plusieurs fois appelé tous les partis politiques du Kurdistan à se rassembler et à réaliser l’unité. En 2013, sur la base de l’appel de notre président Abdullah Öcalan, tous les partis kurdes se sont rencontrés et ont formé un comité pour tenir un congrès national. Malheureusement, sous la pression de l’État turc et d’Erdogan, certains partis nous ont sabotés et ont empêché le congrès de se tenir. Mais nous continuons la lutte pour construire l’unité des Kurdes. Nous voulons avoir des relations avec tous les partis politiques du Kurdistan, y compris l’UPK et le PDK. La Turquie exerce évidemment un chantage sur les autres partis kurdes pour qu’ils collaborent contre le mouvement de libération au Kurdistan du Nord. L’UPK a rejeté cette collaboration. C’est une position importante de l’UPK. 

Erdogan a occupé Afrin et la région entre Tel Abyad et Serekeniye en Syrie. Maintenant il veut deux États à Chypre. Quel est son plan pour le Nord de l’Irak?

Zagros: Erdogan considère le nord de l’Irak, ou le Kurdistan du Sud, comme faisant partie de Misaqi-Milli (le pacte national de l’époque ottomane). À l’époque, le nord de l’Irak s’appelait Vilayeti Mosul (la province de Mossoul de l’empire ottoman). La politique expansionniste et irrédentiste de l’AKP considère le nord de l’Irak (Kurdistan du Sud) comme la 82e vilayet dans sa vision néo-ottomane de la nouvelle Turquie. L’État turc a déjà stationné des troupes à différents endroits de la région, de Zakho tout au nord, à Bashiqa au sud. Il veut légitimer son annexion de la région sous le prétexte de la lutte contre le PKK. La politique expansionniste d’Erdogan ne se limite pas au nord de l’Irak. Il veut étendre l’influence de la Turquie et créer des alliés à sa botte dans toutes les régions qui étaient autrefois sous la coupe de l’empire ottoman, de l’Afrique du Nord au Moyen Orient, en passant par le Caucase. Erdogan est l’Hitler en devenir du Moyen Orient. Il a surpassé depuis longtemps Saddam Hussein. 

Pourquoi Bagdad accepte-t-il que plus de 60 bases militaires turques soient installées au nord de l’Irak? 

Zagros: Le Kurdistan a été divisé en quatre parties par les puissances coloniales d’antan. Aujourd’hui ce sont les USA qui découragent une quelconque intervention de Bagdad contre l’invasion turque. L’espace aérien en Irak est contrôlé par la coalition internationale, dominée par les USA. Ils permettent à la Turquie de bombarder le sol irakien et lui ont donné le feu vert pour envahir l’Irak. La Turquie a aussi depuis des années subventionné, entraîné et équipé Daesh, qui mène toujours des actions en Irak. Il ne serait pas faux de penser que la Turquie utilise sa forte affiliation avec Daesh pour déstabiliser activement l’Irak et le Kurdistan du Sud. Ce n’est pas une surprise que beaucoup d’attaques de Daesh se déroulent en fait dans des régions contestées, par exemple à Kirkouk. Mais par contre, il y a beaucoup de forces politiques et sociales en Irak qui s’opposent à l’invasion des territoires arabes et kurdes par la Turquie et par d’autres pays de la région. Mais elles ne sont pas suffisamment fortes et organisées pour influencer la politique dominante en Irak. La connivence de Bagdad avec l’invasion turque est le résultat des pressions des USA. Notre résistance contre l’armée expansionniste d’Erdogan sert à protéger non seulement les Kurdes, mais aussi les Arabes, les Syriaques, les chrétiens, les Arméniens, les Turkmènes, les Yézidis, les Shabaks et toutes les autres entités de l’Irak. 

Est-ce que la nouvelle présidence des États-Unis influencera les événements au Moyen Orient? 

Zagros: La présidence de Trump a été pour les Kurdes la pire de toutes les administrations états-uniennes. Trump a permis à la Turquie d’envahir le Rojava et le Kurdistan du Sud. Trump a permis à Erdogan d’envahir des régions qui bénéficiaient d’un modèle de gouvernance démocratique et l’a remplacé par la loi djihadiste. Cela a été le cas à Afrin, à Tal Abyad, à Serekeniye. Trump a trahi les gens qui avaient fait le plus de sacrifices dans la lutte contre l’État islamique. Les Kurdes se souviendront toujours de Trump à cause de cela. 

Zagros Hiwa est membre du comité des relations extérieures de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), dont fait partie la principale organisation de la guérilla kurde, le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. 

Les Kurdes du Kurdistan de Turquie sont prudemment optimistes concernant la victoire électorale de Joe Biden aux États-Unis, après que Trump ait laissé le champ libre à la politique expansionniste et répressive d’Erdogan contre les Kurdes en Syrie et en Turquie. Entre temps, la situation s’aggrave au Kurdistan d’Irak avec une opération conjointe de la Turquie avec les Kurdes du PDK de Barzani contre la guérilla du PKK. 

Qu’est-ce qui se passe au nord de l’Irak, où la guérilla du PKK est installée depuis plus de 30 ans? 

Zagros: Au nord de l’Irak (ou Kurdistan du Sud), l’armée turque fait des incursions et a l’intention de l’occuper. Elle le considère comme la province de Mossoul de l’époque ottomane. L’État turc a des ambitions expansionnistes néo-ottomanes qui vont de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient jusque dans le Caucase. 

La Turquie envahit régulièrement le Kurdistan du Sud. Depuis 1983, elle y a mené 33 opérations de grande envergure. Le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan, Barzani) coopère avec l’État turc dans certaines des ses opérations. En ce moment, l’État turc veut utiliser le PDK comme sa propre milice dans la guerre contre le mouvement de libération du Kurdistan. Le but est clair: prétendre que la guérilla du PKK a attaqué les Peshmergas (forces armées du PDK) et déclencher des nouvelles tensions dont seuls les Kurdes en sortiront perdants, avec Erdogan comme gagnant. 

Quel est la véritable menace des drones? Comment résistez-vous à ce nouveau type de guerre? 

Zagros: Ce n’est pas une nouvelle menace. La Turquie utilise des drones contre les forces de la guérilla depuis 2007. Les drones ont incontestablement modifié la vie quotidienne de la guérilla. Mais, pendant toutes ces années, les forces de la guérilla ont développé leurs propres méthodes pour réduire les effets des drones dans les combats. La guérilla ne se comporte pas comme une armée conventionnelle. Elle a plus de flexibilité pour s’adapter aux nouvelles conditions militaires. C’est pour cela qu’en dépit d’une activité des drones 24h sur 24 et 7 jours sur 7 au dessus de nos régions, les forces de la guérilla continuent leurs combats et réussissent toujours à infliger des pertes à l’armée turque. 

La véritable menace de l’invasion turque, c’est qu’un tel type de guerre risque de faire perdre tous les gains kurdes au Kurdistan du Sud et d’ouvrir la voie à un nouveau nettoyage ethnique. N’oublions jamais que l’État turc effectue actuellement un déplacement de la population kurde, donc un nettoyage ethnique à Afrin, à Serekaniye et à Gire Spi (Tel Abyad), au Rojava, dans le nord de la Syrie. Erdogan essaye d’utiliser les Kurdes contre les Kurdes. 

Les drones seuls ne peuvent pas gagner une guerre, donc la Turquie a besoin de troupes au sol. Est-ce qu’elle utilise le PDK de Barzani pour cela?

Zagros: Les drones sont juste le dernier exemple d’une technologie militaire utilisée contre les Kurdes. L’État turc a toujours utilisé une technologie militaire de pointe, conventionnelle et non conventionnelle contre les Kurdes. Ils ont même utilisé des armes chimiques à Dersim en 1938. L’État turc essaie de supprimer les Kurdes en tant que peuple, mais la question kurde est toujours là: politiquement, socialement, culturellement. Une question politique et sociale aussi importante ne peut pas être supprimée par des drones. En plus des drones, l’armée turque veut utiliser les forces du PDK comme de la chair à canon au bénéfice de sa propre armée. Du point de vue de la mentalité de l’État turc, chaque goutte de sang kurde versée est un gain, que ce soit celui du PKK ou du PDK. En ce sens, l’élite dirigeante du PDK commet un tort irréparable envers la cause kurde. Ils négligent le fait que leurs propres ancêtres ont été pendus par l’État turc, bien qu’Erdogan lui-même le leur a rappelé, à la veille du référendum sur l’indépendance. Au lieu d’encourager et d’organiser le peuple kurde pour qu’il résiste aux envahisseurs, le PDK collabore avec les envahisseurs. 

Quelle est la relation entre le PKK et le UPK (Union Patriotique du Kurdistan, la deuxième force politique du Kurdistan d’Irak), est-ce qu’elle est meilleure qu’avec le PDK? 

Zagros: Notre politique dans les relations intra-kurdes consiste à établir l’unité nationale parmi les Kurdes. C’est nécessaire si les Kurdes veulent résister à la répression des États dominants. Nous avons plusieurs fois appelé tous les partis politiques du Kurdistan à se rassembler et à réaliser l’unité. En 2013, sur la base de l’appel de notre président Abdullah Öcalan, tous les partis kurdes se sont rencontrés et ont formé un comité pour tenir un congrès national. Malheureusement, sous la pression de l’État turc et d’Erdogan, certains partis nous ont sabotés et ont empêché le congrès de se tenir. Mais nous continuons la lutte pour construire l’unité des Kurdes. Nous voulons avoir des relations avec tous les partis politiques du Kurdistan, y compris l’UPK et le PDK. La Turquie exerce évidemment un chantage sur les autres partis kurdes pour qu’ils collaborent contre le mouvement de libération au Kurdistan du Nord. L’UPK a rejeté cette collaboration. C’est une position importante de l’UPK. 

Erdogan a occupé Afrin et la région entre Tel Abyad et Serekeniye en Syrie. Maintenant il veut deux États à Chypre. Quel est son plan pour le Nord de l’Irak?

Zagros: Erdogan considère le nord de l’Irak, ou le Kurdistan du Sud, comme faisant partie de Misaqi-Milli (le pacte national de l’époque ottomane). À l’époque, le nord de l’Irak s’appelait Vilayeti Mosul (la province de Mossoul de l’empire ottoman). La politique expansionniste et irrédentiste de l’AKP considère le nord de l’Irak (Kurdistan du Sud) comme la 82e vilayet dans sa vision néo-ottomane de la nouvelle Turquie. L’État turc a déjà stationné des troupes à différents endroits de la région, de Zakho tout au nord, à Bashiqa au sud. Il veut légitimer son annexion de la région sous le prétexte de la lutte contre le PKK. La politique expansionniste d’Erdogan ne se limite pas au nord de l’Irak. Il veut étendre l’influence de la Turquie et créer des alliés à sa botte dans toutes les régions qui étaient autrefois sous la coupe de l’empire ottoman, de l’Afrique du Nord au Moyen Orient, en passant par le Caucase. Erdogan est l’Hitler en devenir du Moyen Orient. Il a surpassé depuis longtemps Saddam Hussein. 

Pourquoi Bagdad accepte-t-il que plus de 60 bases militaires turques soient installées au nord de l’Irak? 

Zagros: Le Kurdistan a été divisé en quatre parties par les puissances coloniales d’antan. Aujourd’hui ce sont les USA qui découragent une quelconque intervention de Bagdad contre l’invasion turque. L’espace aérien en Irak est contrôlé par la coalition internationale, dominée par les USA. Ils permettent à la Turquie de bombarder le sol irakien et lui ont donné le feu vert pour envahir l’Irak. La Turquie a aussi depuis des années subventionné, entraîné et équipé Daesh, qui mène toujours des actions en Irak. Il ne serait pas faux de penser que la Turquie utilise sa forte affiliation avec Daesh pour déstabiliser activement l’Irak et le Kurdistan du Sud. Ce n’est pas une surprise que beaucoup d’attaques de Daesh se déroulent en fait dans des régions contestées, par exemple à Kirkouk. Mais par contre, il y a beaucoup de forces politiques et sociales en Irak qui s’opposent à l’invasion des territoires arabes et kurdes par la Turquie et par d’autres pays de la région. Mais elles ne sont pas suffisamment fortes et organisées pour influencer la politique dominante en Irak. La connivence de Bagdad avec l’invasion turque est le résultat des pressions des USA. Notre résistance contre l’armée expansionniste d’Erdogan sert à protéger non seulement les Kurdes, mais aussi les Arabes, les Syriaques, les chrétiens, les Arméniens, les Turkmènes, les Yézidis, les Shabaks et toutes les autres entités de l’Irak. 

Est-ce que la nouvelle présidence des États-Unis influencera les événements au Moyen Orient? 

Zagros: La présidence de Trump a été pour les Kurdes la pire de toutes les administrations états-uniennes. Trump a permis à la Turquie d’envahir le Rojava et le Kurdistan du Sud. Trump a permis à Erdogan d’envahir des régions qui bénéficiaient d’un modèle de gouvernance démocratique et l’a remplacé par la loi djihadiste. Cela a été le cas à Afrin, à Tal Abyad, à Serekeniye. Trump a trahi les gens qui avaient fait le plus de sacrifices dans la lutte contre l’État islamique. Les Kurdes se souviendront toujours de Trump à cause de cela. 

Zagros Hiwa est membre du comité des relations extérieures de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), dont fait partie la principale organisation de la guérilla kurde, le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. 

Les Kurdes du Kurdistan de Turquie sont prudemment optimistes concernant la victoire électorale de Joe Biden aux États-Unis, après que Trump ait laissé le champ libre à la politique expansionniste et répressive d’Erdogan contre les Kurdes en Syrie et en Turquie. Entre temps, la situation s’aggrave au Kurdistan d’Irak avec une opération conjointe de la Turquie avec les Kurdes du PDK de Barzani contre la guérilla du PKK. 

Qu’est-ce qui se passe au nord de l’Irak, où la guérilla du PKK est installée depuis plus de 30 ans? 

Zagros: Au nord de l’Irak (ou Kurdistan du Sud), l’armée turque fait des incursions et a l’intention de l’occuper. Elle le considère comme la province de Mossoul de l’époque ottomane. L’État turc a des ambitions expansionnistes néo-ottomanes qui vont de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient jusque dans le Caucase. 

La Turquie envahit régulièrement le Kurdistan du Sud. Depuis 1983, elle y a mené 33 opérations de grande envergure. Le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan, Barzani) coopère avec l’État turc dans certaines des ses opérations. En ce moment, l’État turc veut utiliser le PDK comme sa propre milice dans la guerre contre le mouvement de libération du Kurdistan. Le but est clair: prétendre que la guérilla du PKK a attaqué les Peshmergas (forces armées du PDK) et déclencher des nouvelles tensions dont seuls les Kurdes en sortiront perdants, avec Erdogan comme gagnant. 

Quel est la véritable menace des drones? Comment résistez-vous à ce nouveau type de guerre? 

Zagros: Ce n’est pas une nouvelle menace. La Turquie utilise des drones contre les forces de la guérilla depuis 2007. Les drones ont incontestablement modifié la vie quotidienne de la guérilla. Mais, pendant toutes ces années, les forces de la guérilla ont développé leurs propres méthodes pour réduire les effets des drones dans les combats. La guérilla ne se comporte pas comme une armée conventionnelle. Elle a plus de flexibilité pour s’adapter aux nouvelles conditions militaires. C’est pour cela qu’en dépit d’une activité des drones 24h sur 24 et 7 jours sur 7 au dessus de nos régions, les forces de la guérilla continuent leurs combats et réussissent toujours à infliger des pertes à l’armée turque. 

La véritable menace de l’invasion turque, c’est qu’un tel type de guerre risque de faire perdre tous les gains kurdes au Kurdistan du Sud et d’ouvrir la voie à un nouveau nettoyage ethnique. N’oublions jamais que l’État turc effectue actuellement un déplacement de la population kurde, donc un nettoyage ethnique à Afrin, à Serekaniye et à Gire Spi (Tel Abyad), au Rojava, dans le nord de la Syrie. Erdogan essaye d’utiliser les Kurdes contre les Kurdes. 

Les drones seuls ne peuvent pas gagner une guerre, donc la Turquie a besoin de troupes au sol. Est-ce qu’elle utilise le PDK de Barzani pour cela?

Zagros: Les drones sont juste le dernier exemple d’une technologie militaire utilisée contre les Kurdes. L’État turc a toujours utilisé une technologie militaire de pointe, conventionnelle et non conventionnelle contre les Kurdes. Ils ont même utilisé des armes chimiques à Dersim en 1938. L’État turc essaie de supprimer les Kurdes en tant que peuple, mais la question kurde est toujours là: politiquement, socialement, culturellement. Une question politique et sociale aussi importante ne peut pas être supprimée par des drones. En plus des drones, l’armée turque veut utiliser les forces du PDK comme de la chair à canon au bénéfice de sa propre armée. Du point de vue de la mentalité de l’État turc, chaque goutte de sang kurde versée est un gain, que ce soit celui du PKK ou du PDK. En ce sens, l’élite dirigeante du PDK commet un tort irréparable envers la cause kurde. Ils négligent le fait que leurs propres ancêtres ont été pendus par l’État turc, bien qu’Erdogan lui-même le leur a rappelé, à la veille du référendum sur l’indépendance. Au lieu d’encourager et d’organiser le peuple kurde pour qu’il résiste aux envahisseurs, le PDK collabore avec les envahisseurs. 

Quelle est la relation entre le PKK et le UPK (Union Patriotique du Kurdistan, la deuxième force politique du Kurdistan d’Irak), est-ce qu’elle est meilleure qu’avec le PDK? 

Zagros: Notre politique dans les relations intra-kurdes consiste à établir l’unité nationale parmi les Kurdes. C’est nécessaire si les Kurdes veulent résister à la répression des États dominants. Nous avons plusieurs fois appelé tous les partis politiques du Kurdistan à se rassembler et à réaliser l’unité. En 2013, sur la base de l’appel de notre président Abdullah Öcalan, tous les partis kurdes se sont rencontrés et ont formé un comité pour tenir un congrès national. Malheureusement, sous la pression de l’État turc et d’Erdogan, certains partis nous ont sabotés et ont empêché le congrès de se tenir. Mais nous continuons la lutte pour construire l’unité des Kurdes. Nous voulons avoir des relations avec tous les partis politiques du Kurdistan, y compris l’UPK et le PDK. La Turquie exerce évidemment un chantage sur les autres partis kurdes pour qu’ils collaborent contre le mouvement de libération au Kurdistan du Nord. L’UPK a rejeté cette collaboration. C’est une position importante de l’UPK. 

Erdogan a occupé Afrin et la région entre Tel Abyad et Serekeniye en Syrie. Maintenant il veut deux États à Chypre. Quel est son plan pour le Nord de l’Irak?

Zagros: Erdogan considère le nord de l’Irak, ou le Kurdistan du Sud, comme faisant partie de Misaqi-Milli (le pacte national de l’époque ottomane). À l’époque, le nord de l’Irak s’appelait Vilayeti Mosul (la province de Mossoul de l’empire ottoman). La politique expansionniste et irrédentiste de l’AKP considère le nord de l’Irak (Kurdistan du Sud) comme la 82e vilayet dans sa vision néo-ottomane de la nouvelle Turquie. L’État turc a déjà stationné des troupes à différents endroits de la région, de Zakho tout au nord, à Bashiqa au sud. Il veut légitimer son annexion de la région sous le prétexte de la lutte contre le PKK. La politique expansionniste d’Erdogan ne se limite pas au nord de l’Irak. Il veut étendre l’influence de la Turquie et créer des alliés à sa botte dans toutes les régions qui étaient autrefois sous la coupe de l’empire ottoman, de l’Afrique du Nord au Moyen Orient, en passant par le Caucase. Erdogan est l’Hitler en devenir du Moyen Orient. Il a surpassé depuis longtemps Saddam Hussein. 

Pourquoi Bagdad accepte-t-il que plus de 60 bases militaires turques soient installées au nord de l’Irak? 

Zagros: Le Kurdistan a été divisé en quatre parties par les puissances coloniales d’antan. Aujourd’hui ce sont les USA qui découragent une quelconque intervention de Bagdad contre l’invasion turque. L’espace aérien en Irak est contrôlé par la coalition internationale, dominée par les USA. Ils permettent à la Turquie de bombarder le sol irakien et lui ont donné le feu vert pour envahir l’Irak. La Turquie a aussi depuis des années subventionné, entraîné et équipé Daesh, qui mène toujours des actions en Irak. Il ne serait pas faux de penser que la Turquie utilise sa forte affiliation avec Daesh pour déstabiliser activement l’Irak et le Kurdistan du Sud. Ce n’est pas une surprise que beaucoup d’attaques de Daesh se déroulent en fait dans des régions contestées, par exemple à Kirkouk. Mais par contre, il y a beaucoup de forces politiques et sociales en Irak qui s’opposent à l’invasion des territoires arabes et kurdes par la Turquie et par d’autres pays de la région. Mais elles ne sont pas suffisamment fortes et organisées pour influencer la politique dominante en Irak. La connivence de Bagdad avec l’invasion turque est le résultat des pressions des USA. Notre résistance contre l’armée expansionniste d’Erdogan sert à protéger non seulement les Kurdes, mais aussi les Arabes, les Syriaques, les chrétiens, les Arméniens, les Turkmènes, les Yézidis, les Shabaks et toutes les autres entités de l’Irak. 

Est-ce que la nouvelle présidence des États-Unis influencera les événements au Moyen Orient? 

Zagros: La présidence de Trump a été pour les Kurdes la pire de toutes les administrations états-uniennes. Trump a permis à la Turquie d’envahir le Rojava et le Kurdistan du Sud. Trump a permis à Erdogan d’envahir des régions qui bénéficiaient d’un modèle de gouvernance démocratique et l’a remplacé par la loi djihadiste. Cela a été le cas à Afrin, à Tal Abyad, à Serekeniye. Trump a trahi les gens qui avaient fait le plus de sacrifices dans la lutte contre l’État islamique. Les Kurdes se souviendront toujours de Trump à cause de cela. 

Il semble que la nouvelle administration ne va pas suivre le même chemin que l’administration de Trump. Biden a une compréhension bien plus profonde des conflits au Moyen Orient. Le nouveau président des USA a une réputation de développement de relations avec les Kurdes. Au moins, il sait qui sont les Kurdes et ne les reprochera pas de ne pas avoir débarqué en Normandie! Mais le nouveau président Biden, du parti démocrate, faisait partie de l’administration Bill Clinton quand les USA ont remis Abdullah Öcalan à la Turquie en 1999. Mr. Öcalan est en isolement sur l’île d’Imrali depuis 23 ans. Nous espérons que Biden prendra en considération les efforts de Mr. Öcalan pour trouver une solution démocratique à la question kurde au Moyen Orient. 


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