Le Kurdistan irakien vit toujours confiné après le rebond de nombreux cas de coronavirus. Les habitants de cette région du Nord de l’Irak vivent désormais de nouveau sous un couvre-feu, comme au plus fort du confinement aux mois d’avril et mai.
Entretien réalisé par Olivier Bonnel – Cité du Vatican
Au Kurdistan irakien, seuls les magasins de première nécessité restent ouverts et les lieux de culte, mosquées et églises sont de nouveaux fermés pour éviter tout rassemblement.
Une situation délicate pour de nombreux Kurdes en particulier chrétiens, qui doivent déjà faire front à une grave crise économique, dans un Irak où la rente pétrolière s’est effondrée et où certaines zones du Sud du Kurdistan sont la proie des bombardements turcs. Le frère dominicain Olivier Poquillon vit à Erbil, la capitale kurde. Il revient sur la vie difficile sur place mais avec néanmoins des signes d’espoir.Entretien avec frère Olivier Poquillon, dominicain à Erbil
Nous sommes replongés dans le confinement. On y est depuis le 13 mars, donc plusieurs mois. Cela commence à devenir long. Nous avons des périodes de couvre-feu, qui ont vraiment impacté l’économie. Ainsi aujourd’hui la préoccupation des populations n’est plus tellement la santé, mais celle de nourrir sa famille, de payer son loyer. Les gestes barrières sont beaucoup moins respectés qu’au début. Même si nous avons encore des restrictions, comme la seule ouverture des magasins indispensables le soir. Du coté cultuel, mosquées et églises ont été refermées après trois semaines d’ouverture. Nous sommes donc revenus au statu quo ante avec la reprise de célébrations privées.
Comment vivent les chrétiens en particulier dans cette nouvelle période de fermeture ?
Nous sentons un certain ras-le-bol parmi les chrétiens, les musulmans aussi, mais pour les chrétiens ne pas participer au sacrement eucharistique est particulièrement difficile. Nous avons des demandes de sacrements, et nous nous efforçons de mettre en place des visites aux personnes malades, âgées et handicapées, car la Covid-19 a aussi pour effet de reporter un certain nombre de soins importants. Les gens vivent donc dans la difficulté, vivent mal le fait de ne pas pouvoir se tourner vers leurs pratiques religieuses habituelles pour confier à Dieu ses difficultés. Une sorte de privation de droit à l’offrande. Et puis nous avons aussi une spécificité, c’est que l’on célèbre en arabe donc nous avons beaucoup de réfugiés, de déplacés des zones arabophones de Mossoul, de la plaine de Ninive. Pour eux, le fait de ne pas pouvoir retrouver de dimension communautaire est très sensible.
Sur un plan plus général, même si maintenant à Bagdad il y a un nouveau gouvernement et qu’une forme de stabilité a été retrouvée, comment les Kurdes voient l’avenir de leur pays?
L’arrivée d’un nouveau Premier ministre à Bagdad a été plutôt bien vécue par la minorité chrétienne. Le fait que le Premier ministre soit allé à la rencontre de tous, notamment sunnites et chrétiens, est positif. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas senti une telle note d’espoir parmi la population. La situation est très dégradée, les cours du pétrole sont effondrés, le budget de l’État a été amputé, les importations fonctionnent tant bien que mal, toutes les taxes ne rentrent plus, le paiement des fonctionnaires est problématique. Donc il y a ce mécontentement dans la région orientale du Kurdistan, tandis que dans la région occidentale sévissent les bombardements quotidiens. Des villages chrétiens ont été plus touchés que d’autres. Il y a donc un mécontentement doublé d’une appréhension.
Si du coté du gouvernement central, on voit les choses plutôt s’améliorer avec un réel souci du bien commun, en revanche la situation géopolitique inquiète les populations.
À quoi se raccrochent donc les habitants que vous connaissez notamment, au regard de ce contexte difficile?
Pour les chrétiens, il y a une vraie foi enracinée, donc on s’en remet à Dieu assez spontanément. En revanche, l’on n’attend plus grand-chose de l’étranger. Ce sont les plus jeunes qui donnent l’espérance. Il y a le sentiment que rien ne se fera sans eux. Entre le changement de gouvernement, la nécessité de restaurer l’autorité de l’État, faire en sorte que les services publics fonctionnent, tout cela répond aux aspirations des plus jeunes.
On sent aussi beaucoup moins de tensions entre les grandes communautés, chiites, sunnites, arabes, kurdes. L’on sent plus la naissance d’une communauté générationnelle dans la région, ce qui peut être assez positif pour souder la population.