◄ back to all

13 April 2020, Iraq, Sadr City: Iraqi police officers distribute bags with basic food and supplies to the low-income people during a nationwide curfew aiming to help fight the spread of coronavirus (Covid-19). Photo by: Ameer Al Mohammedaw/picture-alliance/dpa/AP ImagesAMEER AL MOHAMMEDAW/DPA/AP 

La croix: Coronavirus, pétrole… l’Irak au bord de l’effondrement


Analyse 

Avec l’effondrement des cours du pétrole, l’État fédéral irakien, tout comme les autorités kurdes, ne peuvent plus payer leurs fonctionnaires. Le couvre-feu complique lui aussi la situation des familles pauvres, confrontées à la difficulté de travailler.

Le député Arshad al-Salhi, a eu des mots très forts fin mars, au début du couvre-feu. Le chef de la commission parlementaire des droits de l’homme en Irak a déclaré redouter que le couvre-feu imposé par les autorités pour lutter contre la pandémie de coronavirus n’entraîne une « famine » pour les nombreux Irakiens « privés de salaires »« Le gouvernement doit bâtir une stratégie rapide pour distribuer immédiatement des denrées alimentaires », avait-il lancé.

Hélas, son pays n’est pas en état de venir en aide même aux familles pauvres, qui du coup ont été obligées de sortir travailler malgré le couvre-feu. Celui-ci vient d’être allégé pour le début du Ramadan, mais l’économie tourne au ralenti. Après que le ministère de la santé a annoncé plus de 1 800 cas confirmés de coronavirus et 87 décès, les autorités ont fermé plusieurs marchés à Bagdad et nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la dégradation actuelle. « Il n’y a aucun filet de sécurité sociale, aucune assurance, rien », constate un Irakien.

En Irak, la liste des crises ne cesse de s’allonger. « À l’impasse politique s’ajoutent désormais la crise sanitaire et économique avec l’effondrement du cours du pétrole, sécuritaire puisque les attaques de Daech se succèdent, et désormais ethnique », constate Adel Bakawan, directeur du Centre de sociologie de l’Irak et chercheur associé à l’Iremmo.

Impasse politique

Choisi pour former un gouvernement après l’échec des deux précédentes tentatives, le chef du renseignement irakien Mustafa Al-Kadhimi est toujours en pourparlers avec les partis politiques irakiens pour former son premier cabinet : il a jusqu’au 9 mai pour le soumettre au Parlement pour un vote de confiance mais jusqu’ici, toutes ses tentatives ont échoué.

« Les partis chiites n’ont accepté sa candidature que pour empêcher son prédécesseur, qu’ils considéraient comme un agent de l’Occident, d’aboutir : ils ne veulent pas le laisser constituer un gouvernement nationaliste », explique Adel Bakawan, qui observe qu’une nouvelle réunion de concertation lundi 27 avril à laquelle étaient présents « tous les grands acteurs chiites » s’est achevée sans aucun communiqué.

Le blocage politique est complet. Et pourtant, chaque jour qui passe voit fondre les recettes financières du pays. « Les revenus du pétrole, qui ont atteint 79,4 milliards de dollars (72,18 milliards d’euros) l’an dernier, étaient estimés à 40 milliards (36,36 milliards d’euros) cette année en raison de la baisse des cours », souligne l’analyste Ruba Husari de l’Iraq Oil Forum. L’accord signé entre pays producteurs a encore alourdi la facture. « Avec une production réduite (…) et un prix du baril autour de 20 dollars (18,18 €), les revenus pétroliers de l’Irak ne devraient pas dépasser 25 milliards de dollars (22,73 milliards d’euros) ».

Fonction publique pléthorique

Une catastrophe pour un État irakien doté d’une fonction publique pléthorique et qui dépend à 95 % des recettes du pétrole. Entre 2003 et 2020, le nombre des fonctionnaires payés par l’État fédéral a grimpé de 750 000 à 6 millions. Il atteint 1,4 million dans le seul Kurdistan, sur 5,1 millions d’habitants. « Pas de pétrole signifie pas de salaires versés aux fonctionnaires, pas de services publics, et finalement pas d’État », résume Adel Bakawan, auteur l’an dernier d’un ouvrage au titre prémonitoire, « L’impossible État irakien » (L’Harmattan).

Déjà, la crise financière vire au conflit ethnique. Le 16 avril, las d’attendre qu’Erbil respecte sa promesse de reverser 250 000 barils par jour à Bagdad, le premier ministre sortant, Adel Abdul-Mahdi, a annoncé qu’il cessait de verser au gouvernement régional du Kurdistan (KRG) sa part du budget fédéral irakien, plongeant ce dernier dans la panique. « Erbil s’est dit prête à livrer la totalité de son pétrole. Mais Bagdad est-elle en situation d’accepter ? », s’interroge Adel Bakawan. « Ces dernières années, la partie arabe et la partie kurde payaient chacune leurs fonctionnaires. Aujourd’hui, aucune n’est en mesure de le faire ».

« La vérité est que si les choses ne changent pas maintenant, ce sera bientôt fini pour le système politique irakien, qui s’enrichit à chaque occasion, sans réussir à faire même les choses les plus simples correctement », juge sévèrement le journal Al-Arabyia, dans un article intitulé « Le coronavirus et la corruption placent le système politique irakien au pied du mur ». « Le système politique est trop pourri, les Américains trop occupés ailleurs et la situation actuelle de l’Irak convient à l’Iran », résume Foreign Policy, qui conclut sombrement : « Plus personne ne peut aider l’Irak ».


back to top