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Le Monde: Compromis de façade entre Washington et Ankara sur Manbij


Après avoir durement affecté les relations entre les Etats-Unis et la Turquie, la crise syrienne pourrait-elle fournir aux deux alliés de l’OTAN un nouveau terrain d’entente ? Certains à Washington voudraient le croire après la rencontre, lundi 4 juin, du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avec son homologue turc, Mevlut Cavusoglu. Mais, malgré les positions de principes affichées, rien n’indique encore une convergence parfaite entre les deux capitales.

La rencontre des deux hommes devait sceller de longues semaines de délibérations du groupe de travail turco-américain sur la Syrie créé en février pour plancher sur la situation de la ville de Manbij, foyer de tensions entre Washington et Ankara depuis près de deux ans. Alliés des Etats-Unis et de la coalition contre l’organisation Etat islamique (EI), les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui contrôlent cette localité proche de la frontière turque depuis 2016 sont considérées par la Turquie comme une menace existentielle. En cause : leurs liens avec la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que l’Etat turc combat sur son propre territoire.

Dans un communiqué commun publié à la suite de la rencontre de lundi, Turcs et Américains affirment avoir convenu d’une « feuille de route » dont le détail n’a pas été révélé mais qui doit être « mise en œuvre » pour « assurer la sécurité et la stabilité de Manbij ». Mardi matin, les forces kurdes déclaraient déjà avoir retiré leurs « conseillers » et laissé le contrôle de la ville au Conseil militaire de Manbij, une entité majoritairement arabe créée et contrôlée par l’encadrement kurde syrien.

Si elle peut apparaître comme une concession à Ankara, en pleine campagne pour les élections anticipées du 24 juin, cette annonce demeure cependant de pure façade. « Il est clair que Washington a demandé à ses alliés kurdes d’annoncer un tel “retrait” pour montrer aux Turcs qu’ils peuvent avoir confiance dans une feuille de route supervisée par les Etats-Unis, indique Nicholas Heras du Center for a New American Security.L’enjeu stratégique est de construire progressivement un modus vivendi avec la Turquie dans le nord de la Syrie. »

Voie étroite

Selon le chercheur, il existerait à Washington une volonté de consolider « une zone OTAN en Syrie, avec, dans le Nord-Ouest, les territoires contrôlés par la Turquie et ses alliés issus de la rébellion, et dans le Nord-Est, les territoires contrôlés par les Etats-Unis et les FDS [à dominante kurde]. Manbij serait la clé de voûte de cette nouvelle zone ». La finalité : exercer une pression accrue sur le régime syrien et faire pièce à l’influence iranienne, une priorité américaine depuis le recul de l’EI.

Dans les faits, le statu quo ne semble pas près de changer à Manbij. « Les conseillers kurdes se retirent mais le Conseil militaire de Manbij fait toujours partie des FDS. Les forces kurdes restent prêtes à défendre Manbij contre toute menace extérieure », affirmait mardi Badran Jiya Kurd, un membre de l’encadrement politique kurde syrien, joint par Le Monde. Or les forces kurdes, et par extension les FDS, alliées de Washington, sont toujours considérées comme une « organisation terroriste » par Ankara. Le ministre des affaires étrangères turc n’a pas manqué de le rappeler publiquement à son retour de Washington.

Du point de vue américain, le Conseil militaire de Manbij doit se maintenir, bien qu’expurgé de ses cadres kurdes. Il s’agit de tester la volonté d’Ankara, pour qui cette solution n’est pas envisageable, indique-t-on de source diplomatique turque. « Si les Turcs peuvent accepter que le Conseil militaire de Manbij reste en place, cela signifiera que les Etats-Unis dominent le rapport de force et que la coopération à venir se fera selon leurs termes », estime le chercheur Nicholas Heras.

L’entourage du président Trump serait donc tenté de gagner du temps en restant dans le flou. Face à la Turquie d’abord, mais aussi vis-à-vis des hauts gradés de l’armée américaine, qui tiennent à ce que les partenaires kurdes de Washington ne soient pas sacrifiés. La voie est étroite, mais, quelle qu’en soit l’issue, les tractations en cours n’impliquent en rien les partenaires européens de Washington au sein de la coalition. Paris, qui a dépêché plusieurs dizaines de membres des forces spéciales françaises en avril aux côtés de soldats américains, face aux menaces d’avancées turques, n’a pas eu voix au chapitre.

 


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