Le livre le plus courageux publié depuis des années » ; « de la littérature qui peut changer notre société » ; « la révolution #metoo trouve son roman le plus fort » ; « un enrichissement de la littérature danoise ». Rarement la critique aura été à ce point unanime dans l’éloge d’un livre qui s’affiche comme un des plus grands succès littéraires de ces dernières années au Danemark. Sorti le 30 novembre 2017 en librairie, le roman Dødevaskeren (« La laveuse de morts ») a déjà été vendu à plus de 50 000 exemplaires, dans un pays où 10 000 ventes suffisent à faire un best-seller.
Son auteure, Sara Omar, 31 ans, est comparée à la romancière danoise Karen Blixen ou à Khaled Hosseini, l’auteur des Cerfs-volants de Kaboul. Elle est originaire de Souleimaniyé, dans le Kurdistan irakien, qu’elle quitte à l’âge de 10 ans. Après cinq années passées dans des camps de réfugiés au Moyen-Orient, sa famille arrive auDanemark en 2001.
Sous le contrôle d’un père tyrannique
Son livre dénonce la culture de l’honneur et l’oppression des femmes, dans son pays d’origine et au Danemark, chez certaines familles musulmanes conservatrices. De la sienne, elle ne veut rien dire. « Les problèmes que je décris me dépassent, ils sont universels », dit-elle. Mais, entre les lignes, on devine son histoire.
Comme elle, son héroïne, Frmesk, « larme » en kurde, est née le 21 août 1986 à Souleimaniyé. Toutes deux sont sorties du ventre de leur mère avec une mèche blanche en forme de cœur au-dessus du front. Un signe d’Allah ? Une malédiction ? Dans une société patriarcale, où les femmes sont toujours suspectes, cette « tache de naissance » est un danger supplémentaire pour une petite fille. Craignant la violence du père, les grands-parents maternels de Frmesk la recueillent. Darwésh, le grand-père, croit au pouvoir des livres. Gawhar, son épouse, lave les corps des femmes massacrées par les hommes, rendant leur dignité à celles jugées impures.
« JE SAVAIS QU’IL Y AURAIT DES CONSÉQUENCES QUAND J’AI DÉCIDÉ D’ÉCRIRE CE LIVRE, MAIS JE N’AVAIS PAS LE CHOIX »
Trente ans plus tard, on retrouve Frmesk clouée sur un lit d’hôpital au Danemark. Sans famille. Sans ami. Elle passe ses journées à noircir des feuilles de papier, jusqu’à ce qu’une étudiante en médecine, Darya, fasse irruption dans sa vie. La jeune femme voilée vit sous le contrôle d’un père tyrannique, obnubilé par les commandements de sa religion.
« Je savais qu’il y aurait des conséquences quand j’ai décidé d’écrire ce livre, mais je n’avais pas le choix, souffle l’écrivaine. C’était ça ou mourir, et j’avais toutes les raisons de choisir la mort. » La voix tremblante, de grands yeux sombres brillants dans un visage aux traits fins, encadrés de deux longues mèches blanches contrastant avec sa chevelure de jais, Sara Omar, étudiante en science politique, raconte les multiples tentatives de suicide, les longs séjours à l’hôpital, le désespoir. Puis les huit mois passés devant son ordinateur, en transe, à écrire sans s’arrêter.
Opposée au port du voile
Fan de Simone de Beauvoir et de Voltaire, elle fustige une culture patriarcale qui opprime au nom de la religion et d’un livre « écrit il y a mille quatre cents ans » considéré comme « un texte de loi ». Pas parce qu’un dieu l’aurait ordonné, mais « parce que les hommes en ont décidé ainsi »,bâtissant des sociétés où « la vie humaine a moins de valeur que la religion, la culture et la réputation » et où « l’honneur de la famille repose entre les jambes des femmes ».
Musulmane agnostique, opposée au port du voile, elle appelle à « une réforme de l’islam » et à une « révolution des mentalités ». En commençant au Danemark, où la gauche, « animée de bonnes intentions », « a trop longtemps fermé les yeux », tandis que la droite « mettait de l’huile sur le feu, au lieu d’apporter des solutions ». Pour avoirrompu avec sa famille et publié un livre, Sara Omar est menacée. Mais, plus que jamais, elle garde espoir. Tous les jours, elle reçoit des lettres de femmes et d’hommes témoignant de leur calvaire. « La parole, dit-elle, est en train de se libérer. »