◄ back to all

Kirkuk, Celebration of Newroz, March 20, 2018.

La fête de Newroz et le forgeron Kawa


Comme après le massacre au gaz des habitants de Halabja il y a trente ans par les avions de Saddam Hussein, pouvait-on, à Paris, à New York et ailleurs, après la chute, hier, de la ville kurde d’Afrin et l’exode de ses habitants par centaines de milliers devant l’armée turque et ses affidiés djihadistes, pouvait-on célébrer Newroz, le Nouvel An kurde, qui marque le premier jour du printemps ?

Oui. Voici pourquoi.

Newroz est né de la légende de Kawa le Forgeron qui tua le tyran Dihak, en Mésopotamie. A la suite d’un pacte avec le démon, celui-ci portait sur ses épaules deux serpents qui devaient manger chaque jour de la cervelle humaine. Chaque matin, deux jeunes gens leur étaient sacrifiés.

Vivant à côté du château du roi, le forgeron Kawa avait sacrifié 16 de ses 17 enfants. Le tour de sa dernière fille venu, son père qui l’aimait avec désespoir envoya à sa place la cervelle d’un mouton. Le roi dupe du subterfuge, Kawa cacha sa fille dans les montagnes. Bientôt tous les habitants l’imitèrent. Les jeunes ainsi sauvés formèrent une armée dont Kawa prit la tête. Il attaqua le château du roi, le tua. Et tous montèrent sur les montagnes allumer des feux pour avertir les villages que le tyran était mort. Le lendemain, le peuple célébra son premier jour de liberté. C’était un 20 mars.

On peut célébrer Newroz même après un désastre et allumer de grands feux. Car cette fête est, venu du fond des âges, un appel à la résistance du peuple kurde contre ses oppresseurs séculaires, perses, arabes, ottomans et leurs modernes successeurs. Après le partage en quatre du Kurdistan par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, c’est devenu, en effet, le symbole la résistance contre les régimes turc, iranien, syrien, irakien, de Saddam Hussein, à Bachar el Assad, Erdogan et aux Ayatollahs d’aujourd’hui. Ceux-là mêmes qui ne sont pas venus à bout de la culture et de l’identité kurdes. Qui ne viendront pas à bout de ce peuple en trop sur la terre. Quoiqu’ils rêvent et entreprennent, jamais las.

Ils ne s’y sont pas trompés : le premier forfait qu’ont commis à Afrin les djihadistes dans les fourgons de l’armée turque a été de faire sauter la  statue de Kawa le Forgeron. Mais les barbares et leur présent maître turc n’en ont pas fini avec Kawa et son peuple millénaire. Une nouvelle résistance commence.

Il faut savoir quatre choses, à propos d’Afrin.

La première, c’est que les Turcs, qui ont violé un pays voisin, se targuent, à la différence des Russes à Alep et dans la Ghouta, d’avoir épargné les populations et les bâtiments civils, hôpitaux, écoles, etc… Rien  n’est plus faux. Ces photos en témoignent. Leur propagande pousse l’ignoble jusqu’à comparer leur « retenue » avec les bombardements alliés sur l’Allemagne nazie.

Tout en qualifiant les résistants kurdes de « terroristes », les Turcs ont recyclé dans leur offensive sur Afrin  tous les résidus djihadistes locaux d’Al Nostra et consorts.

Le plan turc est le suivant : vider Afrin et sa région essentiellement kurde qui avait jusque-là  échappé aux ravages de la guerre, remplacer par autant de réfugiés syriens en Turquie, créer ainsi un tampon de peuplement arabe et couper ainsi les Kurdes de Turquie de leurs frères en Syrie. Cela s’appelle de l’épuration ethnique.

Les Occidentaux, qui n’ont pas sanctionné jadis le franchissement de la ligne rouge par Bachar el Assad le chimique, ont laissé la place libre aux Russes en Syrie, ont condamné le référendum  sur l’indépendance du Kurdistan irakien après que ses Peshmergas se soient sacrifiés deux ans pour nous, ont laissé les milices iraniennes s’emparer de Kirkouk, n’ont pas davantage, OTAN oblige, arrêté le bras d’Erdogan à Afrin. A commencer par  les Américains, alliés hier encore aux Kurdes de Syrie contre Daech. On avait en Syrie Bachar el Assad, puis Poutine, puis l’Iran. On a en plus désormais Erdogan. Dictateurs, autocrates s’en  donnent à cœur joie, devant l’Occident effaré, « impuissant », mais par-dessus tout indifférent. Le Conseil de Sécurité se réunit après l’empoisonnement par la Russie d’ex-espions en Grande-Bretagne. Pas pour Afrin.

En conclusion, les Turcs, des envahisseurs venus jadis d’Asie centrale à des milliers de kilomètres de là, ont trouvé en Turquie des peuples allogènes très anciens, grecs, arméniens, kurdes, qu’ils n’ont eu cesse de réduire, déloger de leurs terres, et enfin massacrer, pour se substituer à eux. Cela dure depuis six siècles. Après le génocide des Arméniens, l’expulsion des Grecs d’Asie mineure, restaient encore et toujours les Kurdes.

Leur tour semble bel et bien aujourd’hui arrivé.


back to top